top of page
Rechercher

8 mars: avec persévérance, avec joie, les nonnes bouddhistes

Photo du rédacteur: Joshin Sensei Joshin Sensei

Des nonnes bouddhistes ? Oui ! Depuis la toute première ordonnée par le Bouddha, Mahaprajapati, sa tante qui l’avait élevée. On a un recueil d’écrits de nonnes bouddhistes indiennes, le Therigata :

 Si libre! Je suis si complètement libre! — 
libérée des trois choses tordues:
        du mortier, du pilon,
        et du vieux mari tordu.
Ayant déraciné l'envie insatiable
qui conduit au devenir,
Je suis libre de la vieillesse et de la mort. Mutta 

Je ne vais pas faire une conférence, mais je voudrais montrer, à travers l’exemple de la Chine, comment même quand leur situation a changé au fil des siècles, selon la primauté tantôt du bouddhisme et tantôt du confucianisme, et comment les nonnes ont continué à pratiquer, étudier, écrire, bref, à suivre leur aspiration religieuse. On connaît en Occident les poèmes des moines bouddhistes chinois, on l’est parfois aussi avec les poèmes des nonnes bouddhistes japonaises.


Mais on sait peu de la poésie écrite par les nonnes chinoises, et que cette poésie existe, même, peut être une surprise.

Il fallait pour la poésie chinoise un niveau de culture élevé, non seulement la maîtrise du langage, mais aussi, à cause des fréquentes allusions et références, une connaissance approfondie de la tradition littéraire, incluant l’histoire et la philosophie.

En Chine cette culture était le plus souvent considérée comme un moyen vers une fin – cette fin n’étant pas l’émotion esthétique ou le plaisir personnel, mais l’obtention à travers le système d’examens d’un poste dans la bureaucratie impériale. Les femmes étant exclues de ces carrières, il n’était pas important – il était même parfois considéré comme dangereux – qu’elles reçoivent ces connaissances.


Néanmoins un nombre significatif de femmes, surtout de familles dirigeantes, ont réussi à obtenir cette éducation ; mais ne sont arrivés jusqu’à nous presque uniquement que des textes datant, ou postérieurs au 17ème siècle. Nous connaissons le titre d’au moins trois mille anthologies de poésie écrite par les femmes, dont un tiers environ existe encore. Il y a des documents qui contiennent les noms de nonnes bouddhistes hautement cultivées, célébrées pour leur talent littéraire, mais peu de leurs écrits sont parvenus jusqu’à nous.


On sait que les nonnes et les poèmes que nous connaissons maintenant sont les ombres et les échos d’un monde que la pauvreté des sources nous empêchera toujours de connaître complètement.


Bref historique des nonnes chinoises

En 516 un moine, Baochang, compile une collection de 65 textes :« Vies de nonnes célèbres », portant sur les nonnes des troisième et quatrième siècles.

A travers ces textes, certes hagiographiques, nous pouvons néanmoins voir que ces nonnes ont exercé une autorité politique, sociale aussi bien que morale non seulement dans leurs propres temples ou communautés, mais dans la société dans son ensemble.

Par exemple, en 385, la nonne Miaoyin fut nommée abbesse d’un couvent bâti pour elle par un officiel de la Cour. De nombreuses personnes, nonnes et moines, ou laïcs des deux sexes, tant de l’aristocratie que du commun, riches ou pauvres, assistait à ses sermons ; et que chaque jour, près d’une centaine de chariots porteurs de dons passaient les portes du couvent.

Les nonnes décrites dans ce livre n’ont pas une pratique unique : certaines sont célèbres pour leur érudition, d’autres écrivent des poèmes, ou vivent une vie ascétique, ou sont renommées pour leur pratique assidue de la méditation. Toutes les formes de vie religieuse, malheureusement; presque aucun écrit de cette période n’a été préservé.


La dynastie Tang (618-907) est une période d’agitation sociale et politique, où de nombreuses femmes, veuves, filles trop pauvres pour se marier, etc., rejoignirent les couvents. Ceci entraîna une baisse du niveau religieux et culturel, entraînant à son tour une baisse du soutien des laïcs, suivi d’un renforcement de la discipline monastique.


Il y eut cependant des nonnes éduquées, cultivées : Fadeng, nommée abbesse d’un grand couvent par l’empereur lui-même, qui en fit sa préceptrice religieuse.

Liu Tiemo, dite Pierre à Aiguiser, pour ses paroles abrasives, surnom gagné dans les « batailles du Dharma ». Et Moshan Liaoran, qui, au cours d’une de ces « batailles » écrasa l’arrogant moine Zhixian, qui en admiration devant son accomplissement spirituel se fit pendant trois ans jardinier dans son couvent ! Quand Zhixian devint enseignant, il dit à ses moines : « J'ai reçu une demi louche chez papa Lin Tsi ( Rinzaï), et une demi louche chez maman Moshan, ce qui fait en tout une louche. Depuis lors, et après l'avoir complètement digéré, je suis comblé. »


Et puis, il faudrait parler en plus des nonnes, de plein de vieilles femmes, qui n’ont jamais de nom, dont le principal rôle dans la vie, semble-t-il, est de se promener en vendant gâteaux de riz et verres de thé, et de clouer le bec aux moines.


Par ex : avant de devenir un maître Ch'an (Zen), Te-shan était réputé pour son érudition en matière de commentaires sur le Sutra du Diamant. Un jour il rencontra une vieille femme- dont on ne sait pas le nom- qui vendait des gâteaux de riz et du thé. La femme lui posa une question (elles ont toujours soit une érudition, soit une compréhension surprenantes!) : « Dans le Soutra du Diamant, il est écrit que l'esprit du passé ne peut être saisi; l'esprit du présent ne peut être saisi ; et l'esprit du futur ne peut être saisi. Est-ce que c'est vrai ?. »

_ « Oui, c'est vrai », lui répondit Te-shan.

« Alors, avec quel esprit accepterez-vous ce thé? » lui demande-t-elle.

Te-shan ne trouva pas de réponse. Reconnaissant sa propre ignorance, ( les vieilles femmes mettent les moines face à leur ignorance), il cherche un Maître et finalement devint à son tour un grand enseignant.


Dynastie Song 10ème-13ème s, les monastères redeviennent des endroits respectés ; la vie monastique une vocation respectable pour les femmes. Il y a même une nouvelle loi qui change complètement les règles du Vinaya, c’est-à-dire des ordinations pour les nonnes. Un des résultats de cette politique, selon un chercheur, est que « Cela ne permit pas seulement aux femmes de prendre du contrôle sur leurs vies religieuses… mais aussi d’obtenir une place réelle dans la communauté bouddhiste. »


Des nonnes furent à la fois abbesses et enseignantes, et leur réputation leur permit d’obtenir de nombreux dons ; ainsi Daojian, ordonnée en 983, reçu de l’empereur la robe pourpre, la plus grande distinction religieuse possible.

Par ailleurs, des familles appartenant à l’élite politique et sociale faisaient construire dans leur propriétés de petits ermitages, pour leurs filles qui ne voulaient, ou ne pouvaient, se marier et choisissaient la vie religieuse, ou pour les jeunes veuves désireuses de se retirer du monde.


Compte tenu de leur appartenance sociale, ces femmes étaient en général très cultivées, et grâce à une mobilité rare dans ces sociétés, ( elles sortent de la norme confucianiste: fille, épouse, mère, veuve,et ça leur donne une certaine liberté) ; elles ont pu souvent étudier avec de célèbres Maîtres – hommes -, et recevoir leur transmission. Tout au moins ceux qui reconnaissaient publiquement la capacité des femmes non seulement à s’engager dans une pratique spirituelle, mais aussi à s’asseoir sur la plate-forme du Hall du Dharma pour enseigner, à prendre des disciples et à inscrire leurs noms dans le lignage du Dharma.


Ce fut le cas notamment du maître Rinzaï Dahui (1089-1163) ; parmi ses héritiers et héritières du Dharma, on trouve notamment deux nonnes très célèbres : Maître du Chan Miaodao et Maître du Chan Miaozong, deux nonnes renommées pour leurs spiritualité et aussi leur savoir impressionnant tant des textes bouddhistes que des classiques confucéens et des textes taoïstes.


1279 : chute de la dynastie des Song, début de la dynastie mongole Yuan. Les premiers empereurs restèrent favorables au bouddhisme, mais au 16ème siècle, c’est le grand retour des officiels confucianistes. Il semble qu’ils furent spécialement offensés par le nombre de monastères féminins dans le pays. Par exemple, le préfet Huo Tao, après avoir fait le compte des couvents de la région de Nanjing – 70 – et celui des nonnes – 500 - lança une campagne pour que toutes ces dernières retournent à la juste place que Confucius leur avait donnée :

« Hommes et femmes sont différents, ceci est la norme des Anciens. Quant aux nonnes, il leur manque près d’elles un mari et de la famille, au-dessus d’elles, un père et une mère, en dessous des descendants. N’est-ce pas pathétique ? Elles appellent ce qu’elles font pratique religieuse, mais en fait elles ne font que transgresser les normes. De plus, elles sont contagieuses pour les épouses et les filles des autres. »


Ça ferait sourire, sauf qu’il ordonna que toutes les nonnes de moins de 50 ans se marient, les autres retournant vivre dans leur famille, ou si elles n’en avaient plus, dans des « ouvroirs »- maisons de charité. Un an plus tard, il put annoncer que son but avait été atteint, et que « leur influence néfaste a été abolie ; il n’y a plus d’ermitages ni de couvents où pourraient se réfugier secrètement des épouses ou des filles. »


17ème siècle : retour du bouddhisme, époque de grands changements dans la société : développement des villes, des écoles et des académies (pas pour les femmes) – les publications fleurissent, écrits religieux ou laïcs, poèmes. On trouve le nom de 400 femmes écrivains au début du 17ème siècle,

Dans les premières années de cette dynastie, refleurit l’école Chan ; plus de douze nonnes par exemple furent les héritières du Dharma du Maître Rinzaï Miyun. Mais un retour au néo-confucianisme, au début du18ème siècle, mit un coup de frein au développement de la Sangha des nonnes.

D’après Beata Grant Daughters of Emptiness, traduit et résumé par Joshin Sensei


Au 20ème siècle, la vie religieuse apparaît encore dans l’histoire agitée de la Chine, souvent un dernier recours pour de nombreuses femmes, jusqu’à l’accession du communisme. Ensuite, c’est à Taiwan que la Sangha monastique des nonnes prit de l’importance.


On voit que leurs possibilités ont toujours été circonscrites par les gouvernements, les familles, les normes, pourtant des milliers de nonnes ont pu s’éveiller dans la Voie qu’elles avaient choisi, on le lit à travers les poèmes que l’on retrouve, ils sont tranquilles et joyeux, libérés et libérateurs .J’ai choisi un poème de Yikui, nonne bouddhiste 17ème s, parce qu’il a tant d’énergie et de sagesse aussi, une sagesse joyeuse, quand après une vie d’Eveil, elle est prête à retourner librement « à la source ».

 

Imaginez !

Toute sa vie « celle-ci »

a été aussi dure qu’un ongle :

lorsque j’avais planté mes talons

rien ne me faisait bouger !

A 24 ans, je rencontrai pour la première fois

la Grande Affaire ( se libérer, s’Eveiller )

et pendant dix ans je me bagarrai

pour oublier les apparences extérieures


A 49 ans, je lâchai prise et abandonnai ce monde de souffrances

- je pouvais voir clairement les affaires du monde

comme à travers une eau transparente

J’étais arrivée à la vérité des choses

et pouvais tout quitter

quand je le voulais.


Mais je m’appliquais à ma tâche encore sept autres printemps.

Maintenant devant vos yeux

ces ongles d’acier

vont tourner en poussière

et les quatre éléments

se disperser comme vent et feu !


Quand les feuilles tombent

on sait que l’automne est là

Il est temps pour moi

de retourner à la source...ah ! ah ! Ah !

Imaginez- gambadant et fantaisiste :

c’est moi ! Yikui


Conclusion

Les textes le répètent: si hommes et femmes sont égaux sur le plan spirituel, l'homme est par nature supérieur à la femme, à la fois socialement et spirituellement.

Alors, oui, les femmes peuvent devenir des Bouddhas...dès qu'elles seront réincarnées dans un corps d'homme : dans le Soutra du Lotus, la Fille du Roi-Dragon qui devient Bouddha.


Mais dans le Soutra de Vimalakirti, très célèbre en Chine et au Japon : au cours de la discussion avec un des disciples du Bouddha, Shariputra, la fille du Roi-Dragon se change en homme, démontrant que son Eveil spirituel transcende la notion de différence et de genre – et accessoirement pour appuyer son point de vue, elle change Shariputra en femme ! Et d'autres textes soutiennent que, puisqu'il n'y a pas de « nature permanente » dans l'Absolu, comme le Bouddha l'a enseigné, les femmes peuvent parfaitement devenir des Bouddhas.


Une des raisons du peu d’attention reçue par les nonnes est qu’elles occupèrent en général une place marginale, tant aux yeux des moines que des officiels, ou des chercheurs modernes. Tout au long de l’histoire chinoise, ce sont des hommes qui ont compilé les généalogies, les anthologies poétiques, l’histoire officielle. Ainsi, bien que le nombre des nonnes ait toujours été inférieur à celui des moines dans la Communauté, il fut peut-être supérieur à celui déduit par l’étude des textes et de l’histoire.


Aujourd'hui le statut des nonnes diffère largement selon les pays: en Asie du Sud Est, les femmes restent le plus souvent des novices en blanc. Pourtant, au Sri-Lanka, par exemple, plus de trois mille femmes portent, sans avoir reçu d'ordination officielle, la robe ocre qui signifie la sortie du monde; depuis les troubles qui touchent ce pays, de plus en plus de personnes se tournent vers elles.

Plus à l'est, Corée, Taïwan, Japon, les monastères sont plus nombreux même si leur nombre est en diminution.


Mais tout cela est en train de changer: en Amérique ou en Europe, des nonnes dirigent des monastères, enseignent, reçoivent des disciples. De nombreux Supérieurs asiatiques installés en Occident, le Dalai-Lama le premier, font leur possible pour faire revivre les ordres monastiques féminins.


Et n'oublions pas le courage des grandes pionnières: au Népal, Dhammawati dut s'enfuir en Birmanie pour étudier le bouddhisme et attendre l'âge de 88 ans pour être enfin ordonnée aux Etats-Unis; en Thaïlande, au début du 20ème siècle, deux nonnes qui avaient reçu l'ordination complète furent emprisonnées pour désobéissance.

«  C'est un droit à la fois religieux et humain que de suivre un chemin spirituel - personne ne devrait interférer ni dénier ce droit. » dit le Vénérable Ratnasasra lorsqu'il ordonne à Los Angeles la première nonne thaïe.


On ne connaît pas souvent leurs noms, on les trouve rarement dans les textes officiels; au fil des siècles, elles sont louées ou blâmées, accueillies ou refusées dans le monde religieux...Comme des silhouettes effacées, elles sont pourtant toujours là, crâne rasé, avec leur rire ; avec persévérance, avec courage, avec joie, elles avancent; elles sont « l'autre moitié du ciel », indispensable pour que les enseignements du Bouddha puissent s'épanouir.


Avec mes sœurs


si proches du présent au passé,

nées du Vide comme moi,

un instant pour s’émerveiller

dans la Voie ;

sœurs avec moi

entre naissance et mort

sans naissance

sans mort ;

sœurs des robes noires

de l’encens et du silence,

avec mes sœurs

de quoi pourrais-je avoir peur ?


Joshin Ni








 
 
 

Comments


bottom of page