Etre une louche en bois !
- Joshin Sensei
- 12 avr.
- 6 min de lecture
Donc le 8 avril comme vous le savez on fête la naissance du Bouddha et puis en même temps les fleurs et puis le printemps enfin voilà, c'est une fête très gaie au Japon !
Et bien sûr dans son temple, Me Dogen organisait la cérémonie qui se poursuit dans tous les temples au Japon , mais aussi dans beaucoup d'endroits dans les écoles dans les rues : on pose une petite statue du Bouddha bébé et sur ce bébé Bouddha, on verse du thé sucré -amacha- enfin plus exactement c'est une infusion de fleurs d’une variété hortensia ( pas de celle qui existe en Fr)- on lave le corps du Bouddha, comme les dragons l’ont fait à sa naissance !
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A cette occasion, M° Dogen parlait alors à ses moines. Ce qui m'intéresse dans ses enseignements, dans son approche, c'est cette façon de relier parfaitement, on va dire la profondeur de l'espace, pour revenir à une autre vidéo et puis le quotidien ; pour le dire dans des termes plus classiques, la vacuité et la forme. Ce discours devant la petite statue tourne autour de la notion de pureté mais il faudrait trouver un autre mot pour dire le contraire de « pur » parce que là on ne parle pas du tout d’« impur », on parle de ...je dirais presque de normal ou de quotidien ou de vie ordinaire. Cette vie ordinaire telle qu'elle est, ou bien de nous, tels que nous sommes.
Nous pouvons pratiquer maintenant, sans attendre une forme de « pureté » qui nous permettrait de commencer la pratique...J’entends ça parfois : je ne peux pas pratiquer, je ne suis pas prêt.e, j’ai trop de ...colère, impatience, rancune etc.
Mais M* Dogen, à travers l’aspersion du thé sucré sur le Bouddha nous dit : juste comme vous êtes, vous vous tournez vers le Bouddha et vous faites apparaître votre moi véritable ; c’est la phrase fameuse du Zen : « L’esprit de tous les jours est la Voie » !
J’explique :
cette année-là, ( je crois 1248? ) M° Dogen lit d'abord un texte de Wanshi, en quelque sorte son grand père spirituel ! j'ai souvent lu certains de ces textes, vous savez : quand toute parole est oubliée dans le silence, ou bien une description très belle de la vacuité : la rivière d’étoiles, les pins recouverts de neige, ou le texte Cultiver le champ vide.
Donc Wanshi se place résolument, si je peux dire, du côté de l’espace, de la vacuité, du côté de la pureté. Il dit : « Ceci est l'eau complètement claire de la Vacuité de la nature de soi. »
M°Dogen lit ce texte avec admiration, on dirait, mais après il le reprend et en fait il change complètement la perspective.
Ce qu’il répète toujours c’est « La pratique, c'est l'Eveil et l'Eveil, c'est la pratique ; Eveil et pratique sont Un » On ne peut pas être ou rester dans la pureté, dans la Vacuité. Le bodhisattva grâce ou accompagné par la Prajna Paramita revient vers les êtres avec compassion. Il retourne au monde.
Pour M° Dogen, pour dire vite, la pratique, c'est vivre avec le cœur, vivre dans la présence, vivre dans le partage. Et aussi retrousser ses manches !
Ceci, cette pratique avec les autres et pour les autres, est Eveil et on n'a pas besoin d'être soi-même – ce que nous appelons « moi »- « pur.e » parce que notre véritable nature est toujours là, nous sommes déjà éveillés, comme tous les textes nous le rappellent.
Suzuki Roshi écrit : « Dans tous ses écrits et ses discours aux moines, M° Dogen affirme la réalité totale du monde des phénomènes concrets, la non-dualité des moyens et de la fin et il répète sans cesse que ce royaume concret est le lieu même de la pratique - réalisation non-deux. »
Quand on verse le thé sucré sur la statue du Bouddha, on utilise une louche en bois. Cette louche en bois, on la trouve encore aujourd’hui à l'entrée des temples, à l'entrée des sanctuaires. On l’utilise justement pour la purification : on prend un peu d'eau on se lave une main après l’autre avant d’entrer.
Mais on peut imaginer que celle que M° Dogen utilise vient directement de la cuisine du temple- c’est celle qu’on utilisait tous les jours pour servir le repas des moines ! D’ailleurs à plusieurs reprises il appelle le tenzo, le responsable de la cuisine « la louche en bois » !
Donc, cette louche en bois, un objet quotidien et banal, arrive de la cuisine, peut être que ce n’est pas une louche spéciale, mais celle de tous les jours, je dirais qu’elle représente les moines et de là, toutes les personnes. Ca veut dire que je vais entrer dans la pureté, c'est-à-dire verser l'eau pure sur le corps pur du Bouddha avec ou à travers la forme ; je vais le faire telle que je suis, et c’est telle que je suis que je marche dans la Voie du Bouddha sans séparation : pratique et Eveil sont un.
Pour manifester cette pureté, eh bien il faut passer par les phénomènes, par la forme, par la louche en bois : on ne peut pas manifester la pureté avec la pureté. Nous sommes à la fois forme, phénomènes et nature de Bouddha- nature toujours pure et Vide.
Nous vivons là, dans le monde infini du Corps pur du Bouddha et dans le monde fini des louches en bois- juste à cette intersection.
Et plus encore, à la fin d’un texte, il parle de la louche en bois cassée- il appelle le Bouddha « Le Tathagata de la Louche en bois cassée » !
Oui, on est comme ça, on est des louches en bois cassées et on rejoint la vacuité, le sans-forme, la nature véritable du soi à travers cette louche en bois nécessaire pour verser l'eau, le thé ou le riz.
Vous voyez c'est très concret. Si on se représente la scène, la grande pièce de méditation tous les moines debout là sur les côtés, l'autel, devant l’autel, la petite statue de Bouddha et devant la petite statue de Bouddha le récipient avec le thé sucré et puis la louche en bois.
Et toujours dans mon idée ( partie un peu loin du texte?! ) de cuisine et de louche cassée, ou « cabossée », parce qu’elle a beaucoup servi : le repas des moines tous les jours, la soupe de riz dans le bol des moines : donc elle est absolument nécessaire pour vivre et pratiquer.
Okumura Roshi écrit : « Nous devons penser« Comment puis-je prendre soin de ce corps et de cet esprit pour les maintenir en bonne santé pour pouvoir aider autrui ? » C’est ce que le Bouddha a enseigné. »
C’est à travers la louche en bois que notre vie se poursuit et que nous pouvons aider tous les êtres !
Le texte.
M° Dogen parla ainsi à ses moines :
« Quand le Maître du Dharma, Hongzhi ( jap. Wanshi), était Supérieur de Tiantong, dans un discours lors du bain du bébé Bouddha, il dit : « Ceci est l'eau complètement claire de la vacuité de la nature de soi ; le corps parfaitement brillant de la pure sagesse. Nous n'avons donc pas besoin de laver ce corps ; il n' y a pas un grain de poussière qui existe. » ( Wanshi parle de façon éthérée... « Clair, brillant, pur, pas un grain de poussière...Nous sommes dans la Vacuité, la Prajna Paramita, la profondeur de l’espace... M° Dogen, je le disais, va montrer l’autre côté)
Il poursuit : « En cette occasion, Shakyamouni Bouddha, ne te mets pas en colère si nous versons de l'eau polluée sur ta tête.
Vous toutes, personnes bienveillantes, qu'en est-il au juste quand la louche en bois est dans votre main ? » ( eau polluée, louche en bois...retour au monde ! Mais les personnes sont bienveillantes, c’est-à-dire pleines de compassion).
On voit la différence entre Wanshi « le vieux Bouddha », que M° Dogen admire mais dont il prend le contre-pied : il n’est pas question de rester flotter dans la Vacuité, loin des phénomènes : pour M° Dogen il faut « mettre en oeuvre » notre Nature de Bouddha, c’est à dire se retrousser les manches, saisir la louche en bois.Et même si l’eau qu’on va verser est polluée, impure- dit M° Dogen- polluée par les Trois Poisons de notre nature humaine, c’est à travers nos actes, que nous allons faire apparaître- laisser apparaître- notre nature de Bouddha.
Pour moi, cette eau polluée versée par une louche en bois cassée qui rencontre le corps pur du Bouddha, c’est zazen. C’est la plus juste, la plus intéressante, la plus profonde définition de zazen que je connaisse. ...
On est une louche en bois cassée, plein.e des Trois Poisons, on s'assoit sur le coussin et à ce moment-là la louche en bois cassé ne disparaît pas, elle ne s'évapore pas, elle rejoint la pureté de la Voie du Bouddha.
Nous, louche en bois cassée, n’avons qu’une seule chose à faire : « mettre en œuvre »cette nature toujours pure : nous asseoir, balayer, aller travailler, jouer avec les enfants... relever nos manches et faire de tout coeur ce qui est devant nous.

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