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Photo du rédacteurJoshin Sensei

Goûtez votre riz vous-même !

Dernière mise à jour : 27 nov. 2023

Toujours avec les grains de riz, ce mois-ci : le grain de riz de M° Dogen, celui de Guishan et de la vache, et aujourd’hui, le grain de riz de Luling...

Je reviens au koan :

Un moine demanda à Seigen Gyoshi : « Quelle est l'essence de l'Enseignement du Bouddha ? »

Seigen Gyoshi répondit : « Quel est le prix du riz à Luling ? »

( Luling ville chinoise près du Mont Lu, un lieu de temples bouddhistes et taoïstes, notamment où vivait le poète Su Dongpo)

Pourquoi continuer à poser ce type de question, en sachant bien- au bout de quelques siècles, ça devait se savoir!- qu’il n’y aurait pas de réponse comme : « Eh bien voilà je vais vous expliquer le zen ou l'essence du des enseignements du Bouddha ... »

Donc ça nous oblige à nous arrêter un petit peu sur les mots ; les mots on les utilise tout le temps, le Bouddha a parlé, il a donné des enseignements jusqu'au dernier moment ,jusqu'à son entrée dans le Parinirvana et en même temps on peut dire que dans ces quatre-vingts ans, le Bouddha n'a jamais dit un mot.

Les mots sont utiles, bien sûr les mots concrets, si vous dites passe-moi le tournevis vous attendez qu'on vous passe un tournevis ; ils sont utiles pour essayer d'approcher au plus près des choses mais déjà c'est difficile : si on veut décrire un paysage ou si on veut parler d'une personne, on voit que déjà chacun a une idée dans sa tête de ce que ça veut dire « joli » ou « pas joli » ou « sympathique ». Tout ça sont des des notions extrêmement subjectives.

Et ce que ne voulaient pas les enseignants du Chan ou du zen, et toujours les enseignants d'aujourd'hui, c'est justement mettre dans l'idée de quelqu'un, comment dire, quelque chose qui soit leur approche du Dharma, leur compréhension du Dharma parce que chacun va avoir à bâtir en quelque sorte sa propre compréhension.

Dans le zen on dit : vous ne pouvez pas le recevoir de l'extérieur et vous ne pouvez pas le trouver à l'intérieur. Un autre koan...alors d’où?

Vous ne pouvez pas le recevoir de quelqu'un d'autre parce que si quelqu'un vous explique sa compréhension du zen... c'est parfait ? mais pas du tout parce que en fait c'est SA compréhension à laquelle vous risquez de vous attacher, et alors vous ne pourrez plus construire votre propre compréhension.

Et si vous pensez que vous allez trouver cette compréhension à l'intérieur de vous-même , vous allez utiliser VOS propres termes subjectifs, et vous n'aurez qu'une qu'un aspect subjectif donc incomplet de l'enseignement qui est sans limite. En fait vous serez resté dans votre petit univers, limité, subjectif, incomplet. ( mais confortable…?!!)


Le Dharma, les Enseignements, la Vacuité, etc, sont indicibles au sens où on ne peut pas les dire parce que nos mots découpent la réalité et là , on est dans une Réalité avec un grand R qui est indécoupable parce que nous sommes dedans. Parce que nous en sommes partie ; pour dire quelque chose, il faut être à l'extérieur de ce quelque chose ; même quand on parle de ses propres sentiments, c'est l'intérêt parfois qu’on peut trouver d'en parler, ça nous oblige à nous mettre un petit peu, comment dire, à ne plus être complètement dedans pour pouvoir les mettre en mots.


Or mettre en mots le Dharma, donc, ce serait le reconnaître comme limité, découpable et même si on dit : « Ah je ne peux pas en parler, c'est trop grand c'est trop vaste » et bien voilà on a déjà mis des concepts de « trop grand » et « trop vaste » !

Est-ce que ça veut dire que le langage est complètement inutile et qu'il faudrait ne jamais utiliser les mots ?

C’est vrai que ça a été un petit peu l'approche du zen Rinzaï, de Lin-Tsi par ex, cris et coups ! et c'est vrai que c'est aussi l'approche à travers la méditation, parce que s'il n'y a pas de méditation, s'il n’y a pas le zazen, alors effectivement il n’y a plus rien... s' il n’y a pas les mots et si il n’y a pas zazen alors là plus rien !

Donc, dicton du Zen, « Ne pas se baser sur les mots et les lettres », oui, mais...

Mais en même temps, Lin Tsi justement étranglait à moitié ses disciples en leur disant : « Parle, parle ! »...Alors…

Maître Dogen dit dans un très beau texte sur Kannon, les mots peuvent exprimer 90% mais le hiatus c'est les 10% qui restent, ce qui ne peut jamais être exprimé par des mots . Et c'est dans ce dans ces 10% là en quelque sorte que se situe notre vie dans la Voie, dans le Dharma .

Donc des mots aussi, oui mais des mots qui ne donnent rien, qui donnent seulement à voir que la vérité avec un grand V est là sous notre nez à chaque instant .

Alors les Maîtres du Chan ont montré cela en renvoyant les personnes qui attendaient une réponse, et là, on revient à notre thème des dernières semaines , qui attendaient une réponse au niveau de la vacuité, donc de l'indicible, en les renvoyant au monde des phénomènes et en leur disant : « Regardez, votre réponse, elle est là, exactement là sous votre nez » le cyprès dans la cour, le bâton des toilettes, le sac de riz de Luling...

Donc ce n'est pas parce que c'est vague ou mystérieux qu'ils répondaient ainsi, mais par compassion je dirais, par compréhension qu'on ne peut pas mettre dans l'esprit de quelqu'un ses propres concepts, sa propre compréhension- parce qu’elle est forcément limitée et incomplète.

Pourquoi renvoyer aux phénomènes ? Eh bien, c'est parce que ce sont les phénomènes et uniquement les phénomènes, qui vont nous montrer la Vacuité, le Dharma : lorsque vous voyez de façon juste ce grain de riz, nous disait maître Dogen, vous voyez l'éternité , l'infini, la Vacuité.

Mais pour cela il va vous falloir faire votre propre Chemin, ni avec les mots du M°, ni avec vos mots ; mais avec votre pratique !

Ceci dit...le doigt qui montre la lune n’est pas la lune, mais il est quand même utile pour indiquer un Chemin que nous, nous aurons à marcher, alors les M° ont parlé !

Je reviens à notre koan :

Un moine demanda à Seigen Gyoshi : « Quelle est l'essence de l'Enseignement du Bouddha ? »

Seigen Gyoshi répondit : « Quel est le prix du riz à Luling ? »

Donc,, quand même, quelques réponses, qui heureusement, ne nous mènent nulle part :


Quelques réponses, anciennes et modernes, à ce koan :


-Lorsque cette personne partie à la recherche de la Voie a posé une question sur le sens profond de notre école et que Seigen a répondu sur le prix du riz à Luling, l'esprit et l'environnement ont été, en un instant, tous deux anéantis. Fenyang (947-1024)


- Lorsque le moine interroge Seigen, il cherche une sorte de vérité constante, qui puisse guider sa vie et lui apporter la sécurité. Mais Seigen ne la lui donne pas, car la vérité n'a pas de forme particulière, elle n'est pas constante.

Peut-être que Luling est un endroit où le riz est si abondant qu'il est totalement gratuit. Peut-être qu'essayer de vendre du riz à Luling, c'est comme vendre de l'eau au bord de la rivière : qui l'achèterait ? Le bouddhadharma est-il ainsi ? Partout où l'on regarde, la terre est pleine d'êtres d'or, de bouddhas.

Ou peut-être le riz est-il si rare qu'il n'a pas de prix. Même avec tout l'argent du monde, il est impossible de l'acheter. Le bouddhadharma est-il ainsi ? Gerry Shishin Wick

-

-Quel est le rapport entre le prix du riz et le sens profond du bouddhisme ? La seule façon de comprendre est de le goûter soi-même. Nous sommes généralement dans le monde de l'illusion. Être dans le monde de l'illusion signifie vivre dans le monde de l'opposition entre soi et l'autre. C'est une erreur. On nous dit alors que le vrai monde est celui de l'unité. Pour réaliser ce monde d'unité, nous nous asseyons en zazen. (...°

Chaque action épuise l'univers entier. Lorsque vous mangez, il n'y a que le fait de manger, et cette action épuise l'univers tout entier. Il n'y a pas de vérité ou quoi que ce soit d'autre en dehors de vous. Chacune de nos actions individuelles épuise l'univers tout entier. Il n'y a rien que nous devions rechercher en dehors de cela.

Pour donner un autre exemple, si quelqu'un me demande quel est le grand sens du bouddhisme, je pourrais dire : "Combien coûte le billet de train pour Tokyo". Ou encore : "Combien coûte un bol de nouilles soba (sarrasin) ? »

Yamada Koun Roshi


-Je suis allé à Luling

acheter un sac de riz-

j’ai payé quelque chose pour cela, l’essence du bouddhisme, je crois

Même si finalement le sac était vide

J’ai vécu grâce à ce riz depuis lors.

Hotetsu « Réapprovisionnement ! »


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